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En quoi les machines et technologies créées par l'homme influent-elles sur son essence même d'être humain ?
1 avril 2015

L’homme et l'objet technique, la machine : un rapport uniquement utilitariste ?

 

evolutionofman

The evolution of man.

Ce dessin détourne la célèbre théorie de l'évolution de l'homme selon Darwin. Il s'agit ici de voir l'évolution de l'homme sous un angle plus technologique et pessimiste. En effet, la dernière phase de cette évolution semble montrer un homme recourbé sur son écran, ne regardant pas l'horizon comme ses prédécesseurs. 

Ainsi, dans cette illustration, l'homme paraît asservi à la machine, ou en tous cas très dépendant et cela pose une question primordiale pour notre sujet : quels rapport entretenons-nous avec nos objets techniques, machines et/ou nouvelles technologies?

L'auteur de cette image est un internaute anonyme : Damenace, son oeuvre et les quelques références à celle-ci sont disponibles sur ces deux liens suivant : lien 1 - lien 2

 

L'homme en toute maîtrise, créant des outils et façonnant le monde.

Il semble donc nécessaire de clarifier le ou les rapports qui existent entre l’homme et les outils, les machines et nouvelles technologies. À priori, l’homme a une certaine ascendance sur les objets techniques, modernes ou non, puisqu’il en est le créateur. Ici, on se situe dans une logique assez classique et utilitariste de la technique où l’homme façonne des outils et des objets techniques lui permettant de décupler sa force ou de façonner le monde.

Or, on s’aperçoit vite que ce rapport incombe aussi une dimension métaphysique entre l’homme et la technique puisque l’homme n’a plus qu’un rapport de fabrication mais il pose également un regard sur le monde tout à fait particulier. L’homme, grâce à la technique et ses outils modernes est ainsi capable de modifier son monde, sa personne et la nature de manière générale.

Dans le Discours de la méthode (partie IV) Descartes expliquait justement que la technique permettait à l’homme de se rendre comme « maître et possesseur de la nature ». Il y a une réelle utilité de la science moderne pour Descartes car la connaissance des lois du monde naturel permet à l’homme d’intervenir sur la Nature, son monde, sur lui-même s’il le veut et selon sa propre volonté. Ici la technique et les objets techniques permettraient de soulager le travail des hommes par le biais d’outils et de machines, par exemple, mais aussi de guérir les hommes et allonger leur espérance de vie. Dans ce cas présent, l’homme est en pleine puissance et en totale maîtrise de ses capacités et outils, machines ou technologies créées. Cette position s’apparente aisément à une sorte d’optimisme technicien où l’homme et la technique qu’il créé seront toujours en mesure de régler les problèmes imposés par la nature, ou par la technique elle-même.

Ainsi, dans cette première vision du rapport que l’homme peut avoir à la technique, les technologies créées par l’homme restent sous son contrôle et fonctionnent selon son intentionnalité-propre. Il n’y aurait, dans ce cas, pas ou peu de risques à utiliser les technologies créées par l’homme. Ce rapport plutôt utilitariste et classique suppose ainsi une primauté de l’homme sur ses technologies et un rapport unilatéral entre les deux entités que sont l’homme et ses créations. Il serait cependant intéressant de voir comment ce rapport peut être inversé.

 

L'outil pourrait-il rendre l'homme humain ? 

Aristote dans Les parties des Animaux explique que ce n’est pas parce-que l’homme a des mains que l’homme est le plus intelligent des êtres, mais que c’est justement parce qu’il est le plus intelligent qu’il a des mains. Il insiste donc sur le fait que l’homme est d’abord un être intelligent avant d’être un homo faber, un technicien ou créateur. Pour lui, si la nature a donné l’outil le plus polyvalent et utile à l’homme c’est bien parce qu’il saurait s’en servir mieux que tous les autres animaux.

Outre l’empreinte des dieux olympiens sur le destin de l’homme dans le discours d’Aristote, on remarque que sa façon d’appréhender le rapport entre l’homme et la technique est assez originale. En effet, l’homme est, pour lui, d’abord un être intelligent mais sans réelles capacités pour « faire ». L’homme devient alors vraiment un homme complet : homo sapiens et faber, lorsqu’il possède enfin un outil, ici la main.

Le rapport est ainsi ici inversé dans cette vision originale : l’outil pourrait permettre à l’homme d’être un homme complet. Ainsi l’homme ne façonne pas uniquement des outils, objets techniques et technologies modernes mais celles-ci aussi le façonnent et le rendent humain.

Cette vision que propose Aristote, aujourd’hui critiquée par l’anthropologie moderne, présente tout de même un aspect intéressant dans notre rapport à la technologie. C’est peut-être elle qui nous influence et nous permet d’explorer tout notre potentiel. Mais alors, qui façonne qui ? Devons-nous en avoir peur ?

  

La machine contre l’homme, scénario catastrophe. 

Il est vrai que nos connaissances et nos outils techniques ne cessent d’évoluer, si en 1804 le chemin de fer prenait forme, moins de cent-cinquante ans plus tard les premières nanotechnologies voyaient déjà le jour. Cependant, il est nécessaire de toujours questionner ce désir de progrès et la finalité réelle ou l’usage que nous faisons de nos technologies. Certaines technologies et machines ont un impact plus important sur notre humanité que l’on peut l’imaginer et il est indispensable d’anticiper cet effet afin de rester, justement, maître de notre technologie, ou au moins essayer de le rester.

Hans Jonas, dans son ouvrage Le principe de responsabilité, invite à être conscient de l’impact qu’ont nos technologies sur nous-même, notre monde mais aussi sur le futur. Il est clair que nous avons créé des technologies qui présentent un réel risque pour nous-même mais aussi pour les générations à suivre : l’énergie nucléaire par exemple et la gestion de ses déchets. Il s’agit ici de considérer les conséquences lointaines et présentes de nos techniques et donc d’être en mesure de les anticiper. Hans Jonas suggère de prévoir les conséquences néfastes et irréversibles d’une création et si une technologie présente trop de menace importanten, il faut ainsi y renoncer, au nom du « scenario catastrophe ».

Ici, cette vision plus sceptique et pessimiste posée sur nos technologies inverse encore les rapports que nous avons vus précédemment. Il s’agit d’être conscient que les techniques que nous créons peuvent avoir un impact néfaste et irréversible sur notre monde et notre humanité. Ainsi, les technologies que nous créons et que sommes sensés maîtriser peuvent se dresser contre nous.

Cette troisième vision plus sceptique, pessimiste voire technophobe révèle un aspect tout à fait notable dans notre rapport à la technique : celle-ci peut s’avérer être un ennemi ou en tous cas une entrave au bon fonctionnement de notre espèce et de la nature. Cette vision souligne également une part d’ombre et de doute non négligeable dans notre processus de création technique : nous ne sommes pas toujours en mesure de prévoir et de calculer les impacts, bénéfiques ou non, de nos outils et technologies.

 

La machine et l’homme : dépendant l’un de l’autre.

Nous avons précédemment souligné le fait que nos techniques et objets techniques ont considérablement évolués. Tout comme l’homme à vrai dire si l’on suit le modèle de Darwin et notre illustration ci-dessus. Ainsi l’objet technique pourrait avoir des stades d’évolution comme l’homme qui passe de l’enfance à l’adolescence puis à l’âge adulte.

Si cette analogie peut paraitre surprenante, pour Gilbert Simondon elle est tout à fait recevable. En effet, dans son ouvrage Du mode d’existence des objets techniques, il explique que l’opposition classique et stérile entre l’homme et l’objet technique n’est que culturelle et qu’il faut la dépasser. Pour lui, l’objet technique évoluant et se perfectionnant toujours plus prouvent qu’il ne peut êt uniquement considéré comme un ustensile. Nos technologies ont acquis un certain seuil d’évolution laissant apparaître une marge plus importante de fonctionnement qu’au stade du simple automate. C’est justement cette recherche de marge de manœuvre et d’imprévisible qui fait de nos machines et technologies modernes des éléments dans lesquels il réside, plus que jamais, de l’humain. Il souligne tout de même le fait que l’homme doit rester maître et organisateur permanent de ses machines.

Ainsi, Simondon dénonce la technophobie facile. Pour lui, l’objet technologique ne peut être autre chose que purement humain : "ce qui réside dans les machines, c’est de la réalité humaine, du geste humain fixé et cristallisé en structures qui fonctionnent".

Cette dernière vision originale du rapport entre l’homme et ses technologies nous invite à dépasser nos préjugés culturels pour voir au-delà de l’objet technique comme pur outil ou ustensile. Il a en lui quelque chose de profondément humain puisqu’il reproduit son évolution, ses schèmes de logiques et de fonctionnements. Ici, il s’agit de voir l’objet technique et nos machines non pas comme des ennemis lorsqu’ils sont très perfectionnés mais comme des collaborateurs et des créations dont nous devons être fiers.

 

Il apparait, au terme de cette première partie, différents rapports envisageables entre l’homme et ses créations techniques. D’abord, dans une vision assez classique et utilitariste, l’homme peut se poser en tant que créateur et maître de ses technologies. Grâce à ses connaissances et son intellect, celles-ci restent sous son contrôle et lui permettent de modifier son monde, la nature et sa personne s’il le souhaite. Ensuite, le rapport s’inverse plus ou moins avec l’apport original d’Aristote qui nous a permis de préciser que nous ne sommes des hommes complets que lorsque nous sommes en mesure de maîtriser des outils, ici ce sont nos outils et technologies qui nous font être des humains. Puis, nous avons également vu, avec Hans Jonas, que ce rapport inversé pouvait aussi jouer en notre défaveur : nos technologies pouvaient se dresser contre nous et nous porter préjudice si nous ne considérions pas les impacts que celles-ci peuvent avoir à plus long terme. On parle alors de scénario catastrophe. 

Enfin, nous avons exploré le point de vue de Gilbert Simondon, plus nuancé, expliquant que l’homme et ses outils, ses technologies ne pouvaient être indissociables. Nos objets techniques comportent toujours une part d’humanité et nous en sommes toujours la cause. En rejoignant sa vision à celle d’Hans Jonas ou de Descartes, on ne peut nier que, même lorsque nos technologies ont un impact néfaste, il en est de la responsabilité des hommes, pas de nos technologies et que dans celle-la même réside une part d’humanité au sein même de ses schémas, fonctionnements et bugs.

Nous avons ainsi vu les différents rapports que l’on pouvait entretenir face à nos technologies et notre technique. Il est apparu clairement que celle-ci pouvait à la fois nous être tout à fait bénéfique mais qu’elle pouvait aussi modifier notre monde et notre essence même d’humain. Il s’agit maintenant de voir dans quelle mesure nos technologies nous modifient insidieusement, ou non, selon trois niveaux différents, inhérents à la définition d’un homme homo-sapiens : notre capacité de logique, notre intégrité corporelle (l’homme comme bipède, hominidés etc) et notre  faculté sociale.

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